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derrière les portes

paris les halles

2011 - 2012

Photographies.

Carte blanche Sfr Jeunes Talents, sous la tutelle de Patrick Tourneboeuf sur le thème : Les Halles de Paris - Pendant les travaux, la vie continue.

 par Christian Caujolle 

 

 

Ce sont ceux que l’on ne voit pas, que l’on ne voit jamais. Les soutiers de cet énorme paquebot de la consommation amarré au cœur de Paris, les Halles, rebaptisé Forum, même s’il n’a plus rien à voir avec ce que fut le lieu des échanges de parole et d’idées. Ils sont là dès sept heures du matin, bien avant que les commerces ne se mettent à commercer. Ils nettoient, déblaient, évacuent, font disparaître les tonnes d’immondices qui s’accumulent là chaque jour. Tous les détritus, des montagnes, des volumes à la dimension du flot de visiteurs, de passants, de mangeurs, de pollueurs, de salisseurs qui ont traversé les niveaux ou s’y sont attardés. Vision de cauchemar, au-delà du dicible. Et c’est chaque jour, sans fin.

Ils sont au plus profond, dans les véritables bas fonds. Ils transportent, dans des sacs de plastique noir, au moyen de machines, tout qu’il faut faire disparaître du regard pour que la machine puisse continuer à fonctionner comme si de rien n’était. Pour que l’œil ne soit pas agressé par ces reliquats, ces déchets à moitié digérés par la bête qui les a produits. Chaque jour. Chaque matin, à la première heure. Ils donnent l’impression, titanesque, de tenter d’échapper à ces masses dangereuses qui risquent de les engloutir. Perdus dans une marée noire qu’ils doivent évacuer.

 

Ça, ce sont les ordures, ce qu’il y a de plus spectaculaire quand un ouvrier, presque écrasé contre la paroi d’un monte charge, emporte les ordures dont le poids exige que l’on les manipule sur une palette. Mais il y a aussi tous les autres aspects, toutes les autres salissures, qu’il faut effacer elles aussi. Celles que l’on voit vraiment comme celles que l’on voit moins et qui se révèleraient et deviendraient indélébiles si on ne les traitait pas au quotidien.

 

Pour ces travaux de maquillage matinal Emilie Arfeuil, qui œuvre dans une approche documentaire actualisant bien la tradition du reportage, a su trouver une tonalité plus légère, avec quelques pointes d’humour bien venues. Comme quand, par exemple, le dépoussiérage vain de la statue en marbre rose installée au cœur du Forum donne lieu à une amusante anecdote visuelle ou que, activité qui ne résoudra jamais la saleté, un ouvrier brique l’inox au bas d’un escalator, seul. Anecdote visuelle encore, toujours efficace, quand le laveur de carreaux, dans une gestuelle parfaite, inscrit le blanc de son mouvement sur la vitre et que l’on ne sait comment interpréter le « Tirez » qui se répète sur les portes.

 

Au-delà de la sensation de flétrissure, c’est la lumière dure dans lequel baigne tout cet univers qui nous glace. Néons, éclairant parfois à peine, ou bien clarté trop forte lorsque l’on écarte une porte rouge, ou encore, pour une ambiance polar, ce rayon vert – sans poésie ici – qui désigne une serrure que le bras rouge va ouvrir, ou forcer.

 

De tout cela on garde à la fois le sentiment de l’effort physique de ces travailleurs, en très grande majorité immigrés africains, comme oubliés dans des espaces inhospitaliers auxquels le public n’a pas accès et que, de toutes façons, on lui cache pour qu’il ne prenne pas la mesure de cette démesure. On préfèrerait pourtant conserver seulement, comme un petit miracle, ce grand sourire dans un visage tacheté de mousse blanche, comme une jolie plaisanterie des premières heures du jour. On se demande comment il est possible et l’on doit vite admettre qu’il est bien seul.  

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